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Le camp de concentration

à Garaison en 1914

La France a utilisé des camps de concentration durant la Première Guerre mondiale, dont celui de Garaison, pour y enfermer les civils allemands, austro-hongrois et ottomans présents sur son territoire à l'ouverture des hostilités. Plus tard, le régime nazi a créé une relative confusion en utilisant le terme de camp de concentration pour désigner certains de ses camps d'extermination. A Garaison, les personnes étaient détenues en raison de critères généraux, sans procédure juridique mais cela n’avait bien sûr aucune comparaison avec la cruauté des camps de la seconde guerre. On dirait aujourd’hui camp d’internement.

M. Daniel Mur a bien voulu partager avec nous des photos et des documents, dont certains très rares. Nous le remercions vivement. C’est un véritable témoignage sur notre histoire locale pendant la guerre 14-18. A lire aussi un texte très détaillé en bas de cette page.

L’appel. Il y a facilement une bonne centaine de personnes sur la photo. Mais en vérité, il y en a plusieurs centaines dans le camp. Parmi elles figurait Albert Schweitzer, futur Prix Nobel de la Paix 1952.

D’autres clichés :

La cour de récréation devenue village nègre. Les commentaires sur les photos sont d’ « époque »…

Un ouvrage intitulé « Souffrances de GARAISON 1903 1923 » par le Frère GUILLAUME a été édité. Vous trouverez ci-dessous des extraits qui concernent le Camp de concentration.

1" SEPTEMBRE 1914. - Une visite de M. le Préfet à M. Plagnet nous a annoncé l'occupation prochaine par les Allemands. Ce fut un coup pour M. Plagnet et son. personnel. " Et pourtant, dit M. Plagnet, ne pouvons-nous pas rester ici? "  Monsieur le Préfet répond : " Mais si, restez, vous avez deux portes, il vous en restera une pour vous et le public. La colonie aura la sienne. " Et en même temps il le prit par le bras et le secoua fortement. M. Plagnet était vaincu. Il lui donna l'ordre de faire une liste de tous les lits et de la lui envoyer au plus tôt. Et le 7 septembre, la liste lui fut envoyée comme suit : 111 fers de lit, 68 sommiers, matelas 63, plus 13 chambres garnies. Plus tard on en trouva des quantités chez les voisins.


LE   PREMIER   JOUR

Le 8 SEPTEMBRE, à midi 40, le portail des voitures fut ouvert par M. André Cassagnard, domestique à la Chapelle. L'invasion était là! Des gardes territoriaux tenaient, la baïonnette au canon, en respect tous les arrivants jusqu'au soir.

Plusieurs très fatigués sont couchés ça et là. Une demoiselle est tombée en syncope et on la porte dans une civière, une chaleur suffocante  fait souffrir tout le monde. On se précipite à la cuisine de M. Plagnet qui doit céder tout le bouillon du soir et du lendemain pour les fatigués, les malades et les enfants. A chaque instant des convois nouveaux qui arrivent, se dirigent vers la cuisine de la pauvre Sœur Lucie, qui a dû mettre la plus grande marmite et qui cependant n'a pu faire souper son personnel. " Ce soir je n'ai rien trouvé à vous donner, tout a été " englouti " par les Allemands ", nous dit-elle.

Le soir arrive et rien de fait pour les installations, ni pour les prisonniers, ni pour les soldats, ni pour les officiers. Le chef improvisé ne sait pas se débrouiller et prend une voisine qui les accompagne dans les chambres, dans tout Je quartier. On entend un grand bruit. Ce sont de grandes marmites; six de 150 litres chacune qui doivent faire le bouillon cette nuit. Tant pis, on se couchera sans souper.

8 heures du soir, cinq chars de paille arrivent de M. Campardon, d'Arné, on va les distribuer, on se bat!... une brassée chacun. On " empaille " les escaliers et toute la maison". II n'y en a pas pour tous. De là des cris et des plaintes. Il n'y a plus de paille ni de chandelle; on se couche fatigué et avec une grande faim, tandis que les plus huppés mangeaient de bons morceaux dans le voisinage.

A 10 heures du soir tout le monde est sur la paille ou sans paille sur le plancher. M. Plagnet n'en dort pas de toute la nuit. Il lui faut 50 draps et 25 serviettes de table, dès demain, pour tous les soldats et tout l'état-major. Plus tard, il faudra doubler le tout. Quelle journée Notre Dame a vue! Coucher 200 hommes à la salle de récréation! 7 ruches d'abeilles ont disparu le même soir, disparues les abeilles, mangé le miel et brûlé le bois; plus de traces. Voilà pour le premier jour.


ON S'INSTALLE (9 SEPTEMBRE 1914)

Le tumulte et la fougue d'hier continuent ce matin avec un. train incroyable. Les installations des marmites ne seront faites que ce soir; en attendant, on se rue comme la veille à la cuisine de M. Plagnet, on a fini par y mettre un soldat de garde: tout ce pauvre peuple était insupportable. Puis de nouveaux convois qui n'en finissent plus jamais!  Enfin  on  s'installe; on cherche les chambres; chacun veut la plus commode, on s'y bat à coups de poings et à coups de pieds. On arrache les tables du grand réfectoire, on démolit tout ce qui se trouve dans les classes; ici, ce sont des armoires  qu'on  démolit,  là  ce  sont  des  portes  qui sautent, plus loin c'est un autel de Saint-Jean. C'est un bruit comparable à un ouragan qui renverse tout et qui détruit tout. Vers le soir on voit un immense hangar au milieu de la grande cour, appuyé sur un But de pelote. Là des grands fourneaux commencent à fumer, là pendant plusieurs mois on fera la cuisine.


LE   1"   DIRECTEUR  (SEPTEMBRE   1914-NOVEMBRE   1916)

La 2e semaine de septembre arriva le premier Directeur; on le disait très fort pour organiser un camp de concentration : une grande audace, rien ne résistait à son commandement. Il commanda à un clairon de prendre toutes les clefs du monastère et d'ouvrir tout ou de faire sauter. Il avait, disait-il, tout pouvoir. Le clairon, soldat venu d'Afrique, était justement un fort crocheteur. La Sœur Placide fut épouvantée en entendant le formidable bruit que faisaient tant d'hommes. Elle s'enferma dans sa chambre. Lorsque le crocheteur arriva, elle se barricada et garda le silence, mais la porte sauta et on la trouva évanouie d'épouvanté. La Sœur Placide avait une maladie de cœur, et depuis lors elle ne se releva plus. M. Plagnet rapatria les Sœurs de l'infirmerie de la tour de l'Ouest et les mit toutes trois dans son quartier.

L'ouragan continue, continue' toujours; plusieurs centaines s'étaient installés à Lannemezan; on ne les veut plus, les Lannemezanais sont furieux : " Allez à Garaison, disent-ils aux ennemis de la France, là, on vous soignera et surtout on vous gardera. " En effet, ils arrivent en processions interminables et très mécontents que leur loyer qu'ils avaient payé là, ne leur ait pas été remboursé.

Comment faire pour caser 561 hommes Allemands, dont 18 vieillards, 362 femmes allemandes et 159 enfants, 346 Hongrois, 120 femmes et 189 enfants, plusieurs Bulgares, des Turcs, une Espagnole, 10 gitanes, 2 popes, 30 Religieux-.des Pères Blancs, en tout plus de 1.700 personnes?


DIRECTEUR   DÉBORDÉ

Le Directeur est débordé de toutes parts. On lui demande des " réconforts ", et lui de répondre : " Servez-vous de ce que vous trouverez ". C'est de là que sortit la liberté de tout détruire. Tous les emblèmes religieux du monastère furent ou tordus, ou cassés, ou détruits par les Juifs et protestants. Un ordre du Directeur fit transporter le tout dans un tas à la tribune. C'étaient des croix, des statues et des cadres.

Plus tard on s'empara de la tribune et tous les saints emblèmes ont disparu.

L'invasion avance toujours, on s'empare du premier étage pour la Banque et les bureaux. Seules, les chambres des Sœurs et de M. Plagnet sont respectées. Au 2e étage, le P. Lurdos et le R. P. Cazenave protestent contre l'invasion de leur quartier; mais rien n'y fait! On prend les chambres voisines et on les emprisonne au même rang que les internés. Le bruit des portes et des bottes allemandes les étourdit. " Je gouffre beaucoup ", me dit le P. Cazenave, en essuyant ses larmes. Il mourut peu après, en prisonnier de guerre et en saint, le 29 novembre 1914. II était né à Ayzac en 1831 (1). A peine le corps du vénéré Père emporté au cimetière, sa chambre fut envahie par les internés. On ne put les en dénicher. Le P. Lurdos crie qu'on ferme les portes pour que ces gens-là n'entrent pas dans son corridor! C'est inutile. Les religieux ne seront pas respectés et on les fera-souffrir jusqu'à la mort! Quant à moi, je dois changer trois fois de chambre et le Frère Gabriel doit se cacher sous la tribune. Sauf la cave, le réfectoire et: l'écurie, tout est pris. Les chambres des religieux, toutes chaudes de l'Esprit-Saint, sont profanées par des concerts éhontés.


CRISE DE LUMIÈRE,  DE BOIS,  DE  FOURRAGE,  DE  CHARBON

La provision d'acétylène du P. Plagnet a été épuisée. Plus* de lumière! On s'éclaire avec des veilleuses. La provision de bois que M. Plagnet a faite pou*- l'hiver nous est volée. Ce n'est qu'après la guerre et avec l'appui de M. Dhers qu'on nous en a rendu 15 mètres seulement.

Le couvent des Sœurs de Saint-Joseph de Cantaous a été transformé en hôpital et leur chapelle en dortoir. L'ancien abattoir devient la cuisine militaire. La maison est totalement bourrée et on entend un bruit comme dans une grande cité.

Pas de foin, ni de la paille pour les bestiaux. J'en; cherche dans les environs; on me répond que la réquisition est passée.

(1) C'était l'oncle du P. Balette.

Pas de charbon. M. Mousset me dit un jour : " Dites à M. Plagnet que je regrette, mais je ne puis lui en donner. " II faut sortir du département pour se ravitailler en bois de chauffage.

Les feuilles commencent de tomber; la pluie, le froid, la neige font dans l'enclos un véritable bourbier. On fait des " Water-closet " avec des tranchées où-tout le monde doit aller, et cela en plein air. Au front, les Allemands ont avancé et, à Garaison, il y a du mal à les maîtriser.


NOËL   1914.   --   MORT   DE   M.   L'ABBÉ   BONNET

M. l'abbé Bonnet, qui souffre depuis longtemps, a succombé le 25 décembre. Retiré à Garaison pour la seconde fois, il a voulu mourir dans son sanctuaire; si c'est une grâce de vivre à Garaison, c'est aussi un grand don d'y mourir.

Les juifs et les protestants, tout le monde va à la messe de Noël par curiosité surtout et sans dévotion: la chapelle est bondée.


1915.-PAUVRE PERSONNEL

M. Plagnet croit que bientôt tout sera fini, à la guerre comme ici. Et moi de répondre : " Non, tout n'est pas fini. " L'année nouvelle commence et ça dure toujours. On me prend la chambre à coucher, et je dois dormir derrière la vache, sur des sacs qui couvrent un plancher pourri. Les rats ont mangé les sacs, et moi j'ai décampé. C'est la guerre, ainsi font les soldats dans les tranchées. Courage donc!

M. Plagnet voit la situation bien difficile, et son personnel très réduit. La Sœur Placide est malade, la Sœur Albanie n'en peut plus, la Sœur Lucie seule doit supporter le choc, suffire à tout ! On entend dire au Directeur qu'il ne comprend pas que M. Plagnet ait besoin de tant de domestiques, et il ajoute : " Tous ces gens-là, je m'en vais les fourrer dans une chambre "

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ÉCOLES  POUR  ENFANTS

En attendant, il organisa des écoles très provisoires, et le 20 février 1915, tous les enfants au-dessous de 15 ans devaient se rendre aux écoles dont les professeurs étaient : 2 Autrichiens, l'un scolastique, l'autre Frère, un Prêtre Allemand, les trois Lazaristes de Dax, internés. La maison de Dax payait, la pension, de ces derniers et obtint pour eux du Directeur la permission de manger à la table de M. Plagnet. Il y avait encore un grand stock de plumes et de papier de livres et de tout le reste, venant de notre Collège. C'est avec cela qu'ils purent commencer à faire fonctionner les écoles, qui durèrent jusqu'à ce que le camp commença à se désorganiser. On prépara les écoles dans les corridors devant les classes et dans le corridor qui court d'une tour à l'autre, fermé à chaque bout; défense fut faite à tous les internés qui se trouvaient logés là de sortir pendant la classe des enfants. Beaucoup de femmes qui transgressaient les affiches furent punies de huit jours de corvée pour peler les pommes de terre. On fit des tables et des bancs soutenus par des chevalets en bois. Un enfant griffonne : " Nous avons des écoles à Garaison, j'étais un âne, à présent j'apprendrai quelque chose parce qu'on nous enseigne un peu de tout. " Un autre écrit ; " ^Je suis parti du Périgord, je n'avais pas d'argent et j'ai fait le chemin à pied, je suis arrivé a Garaison où il y a une école et des " bats " (1) appartements. Nous sommes dix par chambre, ceux qui ont des paillasses pour dormir payent cinq sous par jour. Depuis le 2 mars, nous avons une école de filles et une autre de garçons. Chaque catégorie à deux cours A et B, nous sommes sous la garde de deux curés qui sont très bons et très savants. Plus tard quand nous serons grands, nous pourrons dire que Garaison et les curés nous ont servi à quelque chose. " Un autre écrit le 2 mars 1915 : " Je suis bien à Garaison, je vais tous les jours à l'école et j'apprends beaucoup, le calcul, le dessin et la gymnastique. " Le 5 mai,

(1) II paraît que  cela  veut dire beaux.

" Nous avons cinq professeurs, trois abbés, deux laïques ". Pour la discipline, on employait surtout le bâton et la matraque.


LA   GRANDE   CUISINE   EST   RÉQUISITIONNÉE

On mit de l'ordre partout, les cuisines de la grande cour étaient dans un état lamentable par suite de la pluie et de la neige. Un beau matin, on dit à M. Plagnet que la grande cuisine, par ordre de M. le Préfet, devait être prise et utilisée pour les internés. Quelques instants après, elle l'était en effet. La Sœur Lucie devint comme malade, mais calme cependant. M. Plagnet fut au lit, le P. Lurdos devint tout rouge, le Frère Gabriel criait tout haut : " Ah! les canailles! " Sœur Albanie en perd la tête et bientôt il faut l'envoyer à la Maison-Mère. Le milieu devient intenable. Nous traînons et nous portons les fourneaux et tout le reste dans le réfectoire des domestiques, que M. André Cassagnard et Gabriel avaient conservé encore. On a trimballé toute la nuit pour tirer le vin de messe qui était sous les talons du Directeur. Il faut se hâter, car les 4 grandes chaudières sont là, à 4 heures du matin. Enfin nous voilà installés. Plus d'ascenseur; nous fîmes un trou au mur et par là, on ravitailla les pauvres religieux. Ce n'est pas fini...


LES ATTENTATS CONTRE LE FRÈRE GUILLAUME

Un matin j'allais au réfectoire lorsqu'une vilaine femme vint vers moi, les bras retroussés et un coutelas à la main. Voyant cela, je m'en fus à toutes jambes, il paraît que c'était à cause de Guillaume qu'elle était internée. Elle devenait folle. Je n'étais pas fier.

Un autre jour, n'ayant pas d'eau potable, pour la table ni la cuisine, je fus à la fontaine de marbre qui, naturellement, ne coulait plus. On avait coupé l'eau et on avait placé les grands réservoirs de l'ancienne Gazoline au midi contre la chapelle. Un garde veillait; sur un écriteau : Défense de prendre de l'eau. Je me trouvai en face d'un garde qui était un interné allemand déjà âgé; vite il se cramponna au robinet, et moi, craignant d'être assommé, je m'en suis allé; mais j'ai été me plaindre au Directeur et je lui ai parlé bien clair : " On va nous tuer! " Or, voici que le même jour, à deux heures de l'après-midi, du haut de la tour de l'Est, de grosses bouteilles cassées sont lancées sur ma tête, mais la Sainte Vierge qui veille toujours détourna les projectiles et je fus sauvé. M. André Cassagnard qui se trouvait là en fut épouvanté. Il prit un projectile, le porta au Sergent et au Directeur. Ils se contentèrent de dire pendant l'appel des internés : " Guillaume, c'est un religieux, il est inoffensif, il ne faut pas le tuer ".

Mais cela n'empêcha pas que, le 20 mai suivant, la tentative se renouvela; le projectile était un bloc de fer, il heurta une branche de poirier, et ma tête fut sauvée. Que Notre Dame en soit louée ! C'était la pluie des malheurs.

Quelques jours après, un soldat venu du front, un peu gazé, était en sentinelle au milieu du jardin. A 10 heures du soir, je fus pour attraper des limaces et des escargots qui mangeaient tous les légumes. " Halte-là! " me dit la sentinelle, mais il le dit trois fois et si vite que je dus crier très fort : le jardinier! mais il ne m'écoutait pas et j'entendais la gâchette : cric-crac! Alors je crie plus fort : Régiment de Libourne! ! ! Il décolla la culasse de sa joue et il s'écria : Qu'est-ce que c'est le Régiment de Libourne? Ce fut justement le mot de passe de ce soir-là. Heureusement, sans cela j'étais fusillé. Tous les soldats du camp me félicitèrent le lendemain matin, d'avoir échappé à un tel danger. Le soldat fut puni et il est reparti bientôt.


EMPIÉTEMENTS   ET   TRACASSERIES

\os ennuis ne sont pas finis : le 10 septembre, on s'empara de la volière et 9es porcheries pour les démolir On fit démolir le But des apostoliques, et bâtir l'atelier : les montants des portes et des fenêtres furent faits avec les pierres du But de Pelote! Ces travaux prirent plusieurs mois. Les Buts de la grande cour ne furent pas touchés, grâce aux cabanes qui y étaient adossées. Sœur Lucie qui avait besoin de l'eau potable en puisait à la Burgère, le Directeur fit fermer à clef, fit un lavoir de la piscine et seule sa bonne y allait. M. Plagnet de dire : C'est fini!

Non, voici encore comment, pour se mettre à l'aise, s'y prit le Directeur :

AT" 5.129. Note de service.

" Prière à M. Guillaume de bien vouloir assurer l'éclairage à l'acétylène, à partir de quatre heures du soir jusqu'au 1" février 1916 à cause des ateliers et des bureaux.

" Garaison, le 12 novembre 1915.

" Le Directeur du Camp de concentration  " "*

Me voilà donc pris, il faut être le Domestique du camp. Ils  ont épuisé tout le carbure de M. Plagnet.' Il faut se quereller peur s'éclairer. Le P. Lurdos réclame. Enfin nous obtenons cinq Lampes, mais pour un temps ires réduit et très surveillé par l'adjudant.


ATELIERS

Les ateliers sont au dortoir des apostoliques et il y a 25 machines à coudre, y compris la nôtre qu'ils nous ont réquisitionnée. Là, on fait des capotes et des calots pour les soldats du front. La tribune est occupée par les ballots venant de l'Intendance, d'un poids de plus de 100 quintaux. La chambre de l'horloge est envahie et occupée comme magasin des habits faits.

LES Bureaux "

Les Bureaux? Ils sont établis aux nos 1, 2, 3, qu'ils ont finit de  communiquer de l'un à l'autre. C'est là que le Directeur et son Caissier ont créé une banque de bons, 50.000, dit-on. Cette monnaie n'était bonne que pour le camp de Notre-Dame.

Chaque interné avait droit à un franc par jour de nourriture, mais on a trouvé le moyen de les faire vivre pour la somme de 0,70 centimes. C'est par ce moyen qu'on a pu faire bâtir l'atelier près" du cimetière de l'enclos.


NOËL 1915

Nous sommes à la Noël et la guerre continue. Tous les soldats du camp veulent entendre la Sainte Messe, ils se préparent par des chants. " C'est épatant ", disait un soldat. A la chapelle, j'entendis un bruit de médailles. C'était le Directeur qui ne put se retenir de venir prier comme les autres. Les Juifs et les protestants remplissaient la chapelle...


LA PRISON

Vers cette époque, le magasin des chapelets est détruit et transformé en cellule disciplinaire. On y enferme tous les punis qui font sauter toutes les vitres au milieu de la cour des acacias. On remet les vitres et on les casse à nouveau. Puis on ne les vitre plus. M. Plagnet n'en dort pas, tant le vacarme est assourdissant. On mit des sentinelles sous ses fenêtres qui criaient tous les quarts d'heure : " Sentinelle, prenez garde à vous ! " et cela pendant toute la durée de la guerre! M. le Directeur avait bien choisi l'endroit pour dormir, aux appartements de Monseigneur, mais pour les religieux, au centre du vacarme.


NOUVELLES   TRACASSERIES

Le 26 septembre, le Directeur ordonne la fermeture de la chapelle au public, ouverte seulement de 6 h. à 8 h. du matin et le soir de 2 à 3 h. et cela durant toute la guerre.

Le Directeur fit fermer la cuisine de la Sœur Lucie, sous prétexte qu'elle livrait de l'eau chaude aux Allemands. Il me défendit de vendre les légumes du jardin, lorsque tous les marchands avaient la permission de vendre, au moment de l'appel, puis il mit tous les vendeurs de légumes à la rue.


LE MARCHÉ DE GARAISON

Là les paysans portaient de tout, même des volailles, et des petits cochons. C'était un vrai marché public. Un jour que j'étais là, le Directeur s'aperçut que moi aussi je profitais du marché et pour me punir il fit disperser tout le monde et il ne resta que ceux qui payaient patente, et ils étaient nombreux.

La 1-* marchande fut' une bouchère des environs. Elle débitait sa marchandise à la chambre des pauvres, sous les arcades. Bonne marchande, mais elle ne put tenir à fournir de la viande pour le camp entier et dut abandonner, puis c'est un maquignon qui prit la boucherie durant toute la guerre et y fit fortune.

Un autre s'installa à la Fournière pendant quelque temps, puis on lui céda deux ares du jardin. Il fit bâtir une villa qui servait d'hôtel, restaurant, cantine et casino.

Une dame installa au grand réfectoire des élèves épicerie, saboterie, café et débit de tabac, et en même temps le Directeur lui offrit la moitié des caves de .M. Plagnet.

Nouvelle épicerie et nouveau bureau de tabac s'ouvraient à la chambrette du plâtre, sous le portail des -voitures. Sous  ce  portail,   occupant  le  passage  lui-même, une jardinière vend ses légumes, tandis qu'un voisin s'est fait grand fournisseur de choux et de navets, et qu'une autre porte force pommes de terre.

Sous le hangar voisin, pâtisserie : gâteaux, beurre et fromage, et tout à côté, quincaillerie et draperie.

On voulut s'établir aussi dans la Cour des Acacias, mais on n'y faisait pas fortune, les prisons étaient là avec leur tintamarre.

De plus, de tous les villages environnants, on apporte du lait. Des marchands ambulants passent souvent et on les laisse entrer au camp quelques heures seulement. Tous les trois mois on réquisitionne la paille dans les fermes voisines pour renouveler la paillasse où grouillent les punaises.


1916

On hâte la construction de l'atelier. Faut-il noter, au 6 avril, le départ du chauffeur? Il avait travaillé comme plombier chez nos Pères à Buenos-Aires. Il était ici avec son automobile au service du camp. Plus tard il se tua dans un accident d'auto près de Bordeaux.


LA PRÉFECTURE S'OCCUPE DE GARAISON

Le 9 avril, la préfecture envoie des hommes chargés d'étudier la question de Garaison, pour savoir ce qu'on pourra en faire après la guerre, et en même temps décider comment faire les water-closets, les premiers empestent jusqu'à Monléon. Mais l'eau qui manque toujours fait l'inquiétude de tous les magistrats.


L'EAU DU CANAL

Monsieur le Préfet s'est mêlé de l'affaire, on a obtenu pour la durée de la guerre un filet du canal de la Neste. Le 26 juillet entraient par l'encoignure du Nord-Ouest du couvent 8 litres d'eau par seconde. Tout le camp en tressaillit de joie, mais les travaux d'exécution causèrent bien des dégâts, surtout au jardin


LES  ALLÉES

Un tour dans les Allées fit remarquer aux dirigeants que les chênes morts ou malades devaient être abattus. On abattit peut-être même des biens portants. Je protestai énergiquement et le Directeur parut intimidé (1). H envoya chercher des petits chênes dans les bois et les fit replanter à la place des vieux chênes par les soldats. C'était un point.


LA  MALADIE   DANS   LE   CAMP

Le couvent se garnit de malades que l'on transporte à chaque instant. Deux sont morts. Ils ont été apportés à la chapelle des Pères du Cimetière et là on les a laissés pendant plusieurs mois avant qu'on les ait emportés. On réclame toujours des draps et du linge à la Sœur Lucie. On ne les lui rend plus et on les enfouit avec précaution, ou bien on les brûle, étant contaminés. " C'est le sacrifice, donnez tout, disait le Directeur, je vous le ferai rendre. " II oublia.


M.   LE  DOCTEUR  DHERS

C'est M. le docteur Dhers qui fait le service sanitaire. Il est très dévoué. Très bon aussi pour les enfants de Notre Dame, qu'il soigne depuis 1914 par pure charité.


NOUVELLES  EXIGENCES

On nous prit le lavoir et oh nous accorda, à forcé de réclamations de M. Plagnet à la préfecture, 48 heures par mois pour faire notre lessive. En fait, nous n'avions que 24 heures, car le second jour, le lavoir était envahi par les prisonniers. Mais qui ne devait pas manquer de linge, c'était tout l'état-major et plusieurs soldats, à servir tous les samedis. C'est surtout l'ouvroir que tous les Directeurs ont convoité avec ténacité, mais là M. Plagnet a tenu bon, tenu bon aussi pour le réfectoire des Pères; il y a eu plusieurs tentatives pour le prendre, mais il n'a pas été profane non plus, grâce à la résistance qu'il fallait opposer tous les jours.


UNE   QUERELLE   QUI   TOURNE   BIEN

Le Directeur me donna un jour l'ordre d'enlever 30 mètres cubes de terreau d'un emplacement où l'on devait bâtir une cantine. Voyant ma résistance, il me dit : " Vous êtes ici un grand embarras ". Et moi de répondre : " Et vous aussi, Monsieur le Lieutenant. Vous me dites que vous voulez porter ce fumier aux champs des voisins; vous n'en avez pas le droit; donnez-moi des ouvriers et je vous ferai balayer le tout. " Le soir il nie fit appeler par un soldat, pour comparaître devant lui; je croyais que c'était pour me faire fusiller, mais quelle surprise ! Quand il me vit : " Vite, vous allez prendre un petit verre, me dit-il. - Je n'en prends jamais, dis-je. - Mais si, j'ai été un peu brusque ce matin, vous m'excuserez, asseyez-vous! - Ce n'est rien, Monsieur le Directeur. - Néanmoins, touchez-moi la main. - Pour cela je n'y vois pas d'inconvénient ". Nous nous quittâmes compères. Et l'emplacement fut déblayé par des hommes de corvée au profit du jardin de la Chapelle. La résistance avait réussi, mais aussi quelle chance de l'avoir échappé belle!


L'AUTEL DE LA TRIBUNE

C'est encore ce Directeur qui nous a fait disparaître le beau et saint autel de la tribune des élèves. 11 l'avait fait bien peindre, bien dorer et argenter, puis le 29 mai 1915, l'autel disparut sous le portail.


LES   FRAISIERS   DE   GARAISON

Voici comment M. le Préfet m'a visité le 15 avril 1916, après avoir vu son état-major et le camp de concentration. Il vint me faire une visite peut-être pour s'amouracher du grand jardin, je ne sais, mais il fut très gentil, il me demanda deux cents pieds de fraisiers; " Mais, me dit-il, je ne veux pas que ce soit pour rien, voilà 1 franc ", et il disparut. Cela" me parut bon, car s'il payait les fraisiers, c'est qu'ils étaient à la Chapelle, et alors le grand jardin allait nous rester, et il nous resta!


NOUS   VOILA   PRISONNIERS

Ce premier Directeur laissera le camp bien organisé; les fils de fer barbelés sur le mur de clôture donnent l'aspect d'un camp retranché. La mort de M. le Préfet nous a valu d'être complètement emprisonnés, puisqu'on s'est emparé de la grande clef du portail. A partir de ce moment il a fallu une carte de " laissez-passer ", pour entrer et sortir. Un homme veut se confesser, un soldat l'accompagne chez M. Plagnet, et pendant toute la confession, la sentinelle reste là, puis le reconduit dehors. Il en est de même pour tous ceux qui le visitent.


UN   PÈLERINAGE   D'AMÉRIQUE A  GARAISON AU   PLUS   FORT   DE   LA   GUERRE

Je dois mentionner cependant une visiteuse bien méritante et bien courageuse. C'était une Sœur de Cantaous, missionnaire à Caracas (Venezuela). C'est la Sœur Marie-Germaine, supérieure du Collège Del Paraiso, qui fut décorée en 1908 et 1916 par les autorités du Venezuela, et, en 1914, par décret du gouvernement français, signé de René Viviani. Sœur Marie-Germaine a donc fait ses noces d'argent en 1915 : 25 ans de service et de dévouement, c'est un triomphe. Elle était là depuis 1890.

Un jour elle s'embarqua pour l'Europe, traversa les mers, bravant les torpilles et les canons, et vint en pèlerinage à Garaison. Elle entra malgré les gardes et les baïonnettes, je ne sais comment. Elle me demanda une audience, chose que j'accorde rarement. N'ayant ni chaises, ni bancs, nous fîmes notre parloir à la Sacristie. Elle me parla de ma sœur Religieuse qui vivait avec elle (il y a 33 ans que je ne l'ai pas vue), des événements que subissait Garaison et de la grande part qu'il prenait à la guerre. Puis elle salua longuement Notre-Dame et les restes d'Anglèze de Sagazan, lui demanda la guérison de sa vue qui était très faible et qui s'améliora. Je la rendis à sa compagne; elles dirent un long merci à Notre-Dame, qui l'aura décorée, je crois, mieux que les pouvoirs publics. La Sœur Lucie en profita pour remonter un peu son courage.

Le Directeur gâte ses affaires. Des questions de chiffons l'ont fait sauter du camp. Il y a bien des choses que j'ignore, mais aussi beaucoup de choses que ma plume ne peut écrire. En partant, il me dit : " Si jamais vous avez besoin de moi, je vous ferai entrer chez un curé! " Que Notre-Dame lui pardonne!


2' DIRECTEUR   :   21   NOVEMBRE  1916-30  OCTOBRE   1917

Dans la soirée du 21 novembre, voilà le second roi de Garaison qui prend possession du camp, où il y a le maximum des prisonniers. C'est un homme de la police secrète.


LES   PORCHERIES   DU   DIRECTEUR

II est jaloux de ce que les détritus du camp de Concentration soient destinés aux voisins. Il y a du gaspillage considérable sur toutes les denrées, on voit surtout du pain au water-closet, on compte par dizaine* d'hectolitres les croûtons secs qu'on ramasse pour les animaux! Il faut porter remède à tout cela, sans oublier d'en profiter. Il fait décrocher 30 contrevents de la partie ouest de la maison, et en fait construire des porcheries, sous les sapins du jardin d'en bas. Le couvent des Sœurs est également dépouillé de ses contrevents et la porcherie est installée. Il faut des pourceaux.....; la préfecture lui procure une camionnette et le voilà maquignon. Il va partout faire des réquisitions, à tel point que les paysans s'en plaignent, II amène donc des cochons par bandes. Il les fait passer 'par la porte du jardin pour qu'on ne s'aperçoive pas à la colonie qu'il fait ce trafic. Voilà donc installées sous les sapins, les porcheries faites de nos contrevents. Trois Autrichiens soignent les bêtes, qui étaient assez nombreuses, puis tous les trois mois le boucher arrive.


UNE POULE BONNE PONDEUSE

II se procura une poule et la mit à notre volière, puis sa servante allait tous les jours chercher plusieurs œufs de cette volière commune. Il abusait.....


LE JARDIN DE L'OUEST

II nous restait encore le jardin de l'ouest, mais le 24 décembre, il nous notifia par ordre de. M. le Préfet, qu'il s'emparait du jardin pour toute la durée de la guerre au profit de la colonie. Le jardin de l'ouest fut pris sans qu'on nous donne la moindre gratification pour les légumes qui s'y trouvaient. " Nous perdons là la moitié de notre subsistance, dit M. Plagnet, et si l'on nous laisse la vie, soyons contents ". Mais nous mourrons quand même.


MORT DE LA SŒUR PLACIDE

Voilà la Sœur Placide qui s'en va. Sa maladie de cœur et son asthme l'ont épuisée. Elle s'est éteinte entre les bras de la Sœur Lucie. Dieu l'a voulu ainsi ! Le 26 décembre 191&"au matin à 6 h., Sœur Placide Barrère, née à Cantaous le 28 février 1841, est partie au ciel. C'était l'ouvrière de la Sainte Vierge et une maman pour tous. Sœur Lucie a beaucoup pleuré et nous, nous la regrettons. La famille que nous formons, s'éteint. Sœur Lucie reste seule au milieu de ce trou noir des Allemands. Il faut une foi robuste comme elle l'a, pour ne pas tomber dans le découragement, dont nous étions presque tous atteints à ce moment-là.


LES  CONFITURES  DE MADAME  (?)

Le Directeur va profiter de notre peur et de notre faiblesse pour nous tirer le peu que nous avions de vie. Au printemps 1917, il me demanda les fruits du jardin,, pour faire de la confiture pour lui et pour sa femme; je lui répondis d'en prendre la moitié, et lui de me répondre : " Je les veux tous. " Et le P. Lurdos qui réclame toujours des prunes et des grosses mirabelles, elles ne seront plus pour lui! Quatre hommes sont nommés pour travailler le jardin de l'ouest pendant tout le temps de l'occupation du camp.


ACTEURS ET ACTRICES,  SYNAGOGUE

Grand tapage pour Carnaval ! On a remis quelques planches à l'ancien théâtre, ils ont formé l'orchestre avec les plus grands artistes de Paris, sans compter qu'il y avait parmi les Allemandes plusieurs actrices aussi des plus grands théâtres de Paris. " Rien ne manque ici, disait M. Plagnet, pas même la synagogue, dont le rabbin nous arrive de temps à autre ". Ils ont pris comme chapelle le dortoir n° 4 qui se trouve sous le toit, au midi du Collège, et après une de ces réunions tout le toit a craqué! Il a failli s'écrouler après la guerre.


L'AUTOMOBILE DU DIRECTEUR

Le Directeur prenait souvent un Allemand pour conduire une auto, fournie par la préfecture, pour faire le ravitaillement et la réquisition... et cela pour faire vivre les indésirables. Le chauffeur la détraquait, chaque fois qu'il s'en servait. Nous la trouvons en flammes sur une route le 20 septembre 1917. Le Directeur n'était pas fier. Il devait rester à Garaison encore quelques jours.


LES SAPINS

Le 2 août, il fit abattre les trois plus grands sapins du jardin anglais et les fit porter à la scierie. Plus tard on en fabriqua une bibliothèque pour l'Administration. Nous étions tous les deux en conversation sous les sapins, lorsqu'il me demanda : " Ces arbres sont très vieux? Je veux les faire abattre tous "; et il remuait sa petite baguette de policier. Et moi de répondre : " C'est dommage, car ce sont des arbres plantés par les anciens Pères et qui font aujourd'hui la beauté de la maison. "" II s'arrêta là, mais il fureta partout.


LE TAILLIS DU  CANAL

La préfecture s'en mêla et on découvrit le taillis du canal. On l'abattit, on mesura 356 mètres cubes, on fit venir deux chevaux de l'intendance de Tarbes, on transporta le bois à Lannemezan. On remplissait un wagon, puis on l'expédiait à Tarbes. Le wagon mettait, dit-on, du temps à se remplir, car tandis qu'on faisait le deuxième voyage, on avait volé le premier. Je n'ai jamais su si les vieillards de Tarbes ont pu se chauffer. Dans tous les cas ceux de Notre-Dame en ont bien souffert, car ils n'ont pu se ravitailler dans les coupes de bois, de leurs bois qui se firent alors.


LES DÉPARTS POUR LA SUISSE

Les échanges des vieillards et des enfants commencèrent en février 1917. Quand il y a un convoi pour la Suisse, on avertit la veille ceux qui doivent partir, afin d'être échangés pour des Français, qui attendent eux aussi en Allemagne qu'on les délivre au. plus tôt. On prépare le soir autant de beefsteaks ou de côtelettes qu'il y a de partants, on coupe un morceau de pain en " cassolette ", puis on introduit la viande, et chacun à tour de rôle prend le sien; les gendarmes sont là, un coup de clairon et les voilà partis. Ce sont des femmes, des enfants et des vieillards qui ont dépassé 60 ans. Presque tous les civils des camps de concentration doivent passer par Garaison, ce qui fait un grand trafic humain.


LA FIN D'UN RÈGNE

Une affiche fut posée dans plusieurs endroits de la maison : tout interné qui crachera par terre dans la maison, sera passible d'une peine de 8 jours de prison. Voilà, sans le vouloir, qui fait honneur à la maison de Dieu.

Mais la cloche les énerve, nous ne pouvons sonner l'Angélus, on nous a enlevé la corde. J'ai mis celle de la charrette du P. Pyfourcat.

La tour de l'Est était en flammes le 29 octobre, mais ça n'a pas été grave à cause du temps. Merci à Notre-Dame! i

Cependant il y a dans le camp un grand mécontentement, et tout le monde murmure contre le Directeur, on le dénonce, il renvoie sa femme, puis le 30 octobre 1917, il quitte Garaison. Il n'était pas à sa place dans la maison du Seigneur. Il a régné 11 mois et 9 jours.


3' DIRECTEUR : 30 OCTOBRE 1917-16 DÉCEMBRE 1919

30 OCTOBRE 1917. - Avec le nouveau directeur du camp, il y a du changement dans la cité de Marie. On y remet un peu d'ordre.


UN   GITANE   QUI   AIME   TROP   LES   LIVRES

Les Pères Blancs avaient la permission d'aller à la Bibliothèque; mais d'autres y entraient aussi, car beaucoup d'internés possédaient de nos livres dans le Camp et tous en étaient fous. Un jour, je me trouvais à la Bibliothèque, et même dans " l'Enfer ", pour supprimer une gouttière; voilà que j'entends quelque chose qui craque! C'est un homme qui est en train de faire un trou pour descendre et voler des livres. Je l'attends de pied ferme, et il se trouve en ma présence, dans " l'Enfer " ; il pâlit ! " Je venais ici pour chercher du bois! - Du bois! ! ! " Je le prends par le bras et je le mène à Monsieur le Directeur, qui le récompensa de 30 jours de prison. Il venait d'en faire 35. C'était une gitane.


PRESTATIONS NOUVEAU GENRE

Comme cette guerre devenait interminable et que la boue dans l'enclos persistait toujours, on prit 40 hommes de corvée et on fureta dans les combles de la chapelle; on y trouva des matériaux pour assainir les cours et les chemins. C'est avec des sacs que se faisait ce mode de prestation. Donc, rien qui ne soit visité depuis les combles jusqu'à la cave.


M.   PLAGNET,   AUMONIER  DU   CAMP

Certains du pays critiquaient Monsieur Plagnet parce qu'il parlait avec les Allemands. Il est devenu aumônier, et la Croix de Genève lui donne son traitement.


GRAVE   ACCIDENT

On voyait presque tous les jours des hommes sur les toits pour les réparations. Un jour, un forgeron y monta et dégringola sur la route. Il resta toujours endolori, et il réclamait toujours une pension.


LE JARDIN DE LA  MONTJOIE

Le 29 mars 1918, le Directeur demanda quatre jardiniers du camp. Il loua à Madame Noguès 120 ares-dé terre, puis y mit 40 hommes pour le travailler et un chef pour diriger le tout. Le chef ayant attrapé 31 jours de prison, le jardin resta sans direction. Le même jour on réquisitionna mes forces, moyennant 1 fr. 50 par jour. Le jardin de la Montjoie fut divisé-en 8 parcelles. Il fallut planter 5.921 choux de Saint-Jean; 2.530, d'hiver; 1.420, d'été; 3.961 des ordinaires; plus 2.200 tomates; carottes, 185 sillons de 120 mètres de long; 95 sillons d'oignons de 700 pieds chacun; céleri, 3.000 pieds; poireaux, 75 sillons de 625 pieds chacun; 1 planche de persil. Dans les environs on ne trouvait plus rien, mais les hommes, quoique nombreux, ne travaillaient pas.


MISÈRE  GÉNÉRALE

On avait fuit une carte de pain et chacun avait 300 grammes. Le gaspillage était fini. Cependant on entretient les cours et les parterres qui sont très fleuris. Les soldats claquent la faim, et je dois les ravitailler, ainsi que la colonie; on m'a tout réquisitionné, on m'a donné un homme pour travailler, et tous lès-jours, il ne fait que me voler.


MORT DU PÈRE LURDOS

Le P. Lurdos, qui s'était retiré dans sa chambre depuis le commencement de la guerre et qui n'en sortait que pour aller dire la Sainte Messe et pour prendre ses repas, a succombé à la suite d'une pneumonie le 16 août 1918. Dieu l'a voulu ainsi. C'est encore un peu de courage qu'il nous faut. Deux Allemands, ont fait la fosse, et l'un d'eux nous a scandalisés. Ayant trouvé un os humain, il le porta à la bouche toute la soirée.

Que n'avons-nous pas vu d'ailleurs?

Quand la corvée balayait la maison, ils passaient leurs balais sales de boue sur la figure des images de la Mère de Dieu, ou des autres saints. Quel mépris!


CONVERSION   D'UNE   PROTESTANTE

Les prières et la charité de la Sœur Lucie avaient converti une protestante que le bon P. Plagnet baptisa. C'a été la seule conversion pendant toute la durée de l'occupation.


VOL   A   LA   BERGÈRE PROFANATION,   ABUS   ET   INCONVENANCES

Le Directeur, lui, s'est amouraché de la superbe moulure qui encadre la fontaine de la Bergère et qui est en terre cuite. Il l'a fait remplacer par des moulures en ciment. " Ce sont, des moulures arabiques, me 'dit-il un jour, on les trouve en Afrique, ça ferait mon affaire pour mon salon d'Orient. " Peu à peu les moulures furent décollées et bien emballées dans des caisses neuves, et remplacées par d'autres qui aujourd'hui sont démolies par le salpêtre. Pauvre Bergère! Un boche avait, quelque temps auparavant, détruit, ou au moins il avait fait sauter en éclats deux anges de l'Apparition, et cassé un doigt de la main de la Sainte Vierge. " Ne dites rien, me dit le Directeur, j'ai des gens ici qui arrangeront tout ça. " On l'arrangea, et on y fit des peintures, que l'on dut effacer, comme inconvenantes. C'étaient deux protestants qui les avaient faites par mépris.

Au plus fort de la guerre, un homme s'installa dans un confessionnal. C'était un dentiste, qui n'avait pas de cabane et se retirait là tous les soirs pour y passer la nuit. Il fallut mettre un verrou à la sacristie et fermer la chapelle à clef, et mettre une serrure à la Chapelle du Trésor. Tous les objets en cuivre étaient très recherchés. La batterie de cuisine en cuivre rouge a été en grande partie fondue ou aplatie pour faire des briquets ou  autres  objets  de luxe.  On  laissait: faire tout (1).


DERNIÈRES  RÉQUISITIONS

Tel adjudant n'était pas plus commode que le Directeur. Un jour l'un me donna l'ordre de lui céder l'écurie de la jument. J'ai résisté, ne sachant où mettre la bête. " Arrangez-vous, me dit-il, autrement vous allez vous mettre dans de mauvais draps. " II fallut céder le tout et mettre la jument avec la vache dont l'écurie était déjà occupée par une troupe de gitanes. On transforma les cabinets des pèlerins en écurie pour mettre le cheval d'une pâtissière qui venait toutes les semaines. La cour des acacias était pourtant interdite à tout le monde, à cause des prisons.


PROJET D'ATTENTAT CONTRE LE MONASTERE

II fonctionnait au camp une police secrète, et un beau jour fut découvert un complot qui voulait à tout prix détruire le monastère. On devait faire sauter la chambre de l'acétylène, et en même temps incendier le tout. Cela venait de ce qu'il y avait de jeunes marins qui avaient mis le mauvais esprit. On fit venir des mitrailleuses et on doubla les soldats, mais rien ne se produisit. Je me suis renseigné sur l'affaire des mitrailleuses auprès de quelqu'un qui entrait tous les jours au poste de police et il m'a assuré qu'elles ont été conservées au poste jusqu'à la fin du camp.


UN  PROTÉGÉ  DE   M.  LE  DIRECTEUR

Une histoire qui a distrait et réjoui le camp, ce fut celle d'un jeune Allemand, à qui on avait donné la confiance dans les bureaux. Il avait le sceau du

(1) M. Plagnet avait vendu au Directeur l'un des deux habillés de soie que nous engraissions, le plus petit. Un matin, avant l'aube, un Allemand, charcutier du Directeur, ouvre la porcherie et par erreur tue le gros. M. Plagnet de protester, et le Directeur de répondre : " C'est la guerre! " C'était le 23 décembre 1918, 40 jours après l'Armistice. Mais pour lui et pour nous la guerre continuait. <camp et préparait les passeports. Il s'en prépara un pour lui, un passeport comme il le voulait. Puis il passa par le grenier à foin, enleva les contrevents,

oet le voilà parti pour Montréjeau. Il avait son portefeuille sous le bras, son bâton à la main, regardant partout le bétail qu'il rencontrait. Tout le monde croyait que "c'était un envoyé du gouvernement pour réquisitionner le bétail, il franchit la frontière et arriva à Barcelone (Espagne), et là par le moyen de la Croix-Rouge, il fit parvenir un colis pour chacun des internés de Garaison.

Il y avait pourtant des sentinelles : 12 de garde au

-dehors et 8 au dedans de l'enclos.


L'APPEL

L'appel se fait tous les jours à 9 h. du matin, 2 h. du soir, 8 h. du soir. Il est annoncé par un coup de clairon, d'un air très agréable. Les femmes se rangent d'un côté et les hommes de l'autre. Le lieutenant est au milieu. L'adjudant passe devant les chefs de chambre, lit les numéros pour savoir si quelqu'un manque, ou s'il y a des malades. Puis on proclame les lettres, les plis recommandés, ou s'il y a de l'argent à prendre. Ensuite on annonce s'il y a des départs pour la Suisse, et s'il y a des étourdis, on les amène à la prison. Puis un coup de clairon disperse tout le monde.


LE CHIEN LAITIER

Tout le -monde est fatigué de cette guerre interminable. Les paysans ne font plus des processions de bouteilles de lait. On se ravitaille avec une voiturette attelée d'un chien et on trotte dans tous les villages environnants.


PASSE-TEMPS  DES   INTERNÉS

On ne sait que faire des hommes. On a établi des brigades. Ils ramassent des' cailloux, d'autres les cassent. Les uns font la serrurerie, les autres sont menuisiers. Un sabotier de Monlong est venu pour enseigner à faire les sabots. D'autres travaillent le ciment, on fait un bassin à l'ouest de la maison, une fontaine de luxe, avec un monstre au milieu. Il y en a beaucoup qui sont partis pour la campagne en permission, quelques-uns à la journée, d'autres pour un 'temps plus prolongé


LA CORVÉE MATINALE

Le nettoyage de la maison se fait par la corvée du matin. Plusieurs tinettes sont installées dans les corridors pour la nuit, et tous les matins, on les enlève et on les porte au champ de la voisine, toujours accompagnées d'une sentinelle.


L'HUILE A BON MARCHE

On éclaire les chambres avec des veilleuses à l'huile douce, mais ils éteignent la veilleuse pour avoir l'huile pour se faire de la salade; le lampiste leur met un tout petit peu de pétrole.


GRIPPE ESPAGNOLE

Misère, maladie et mort : la grippe espagnole est entrée dans le camp et fait beaucoup de victimes : plus de quarante enterrées en peu de temps, au-dessous du cimetière du hameau. Pauvres gens!


L'ARMISTICE

Enfin!... l'armistice nous combla de joie, et humilia profondément les internés.

Chacun à sa manière rêva de délivrance; mais il faut l'attendre quelque temps.


MORT DU  FRÈRE  GABRIEL

Dans cette immense joie, pour nous, un nouveau deuil. Les hivers de 1918 et 1919 ont été pluvieux et froids. Notre Frère Gabriel s'est enrhumatisé. Il devient presque impotent. Le P. Abbadie lui envoie un caleçon en laine, venu de la Hollande. Et sans qu'il se fût alité, on le trouva mort dans sa chambre le 1er avril 1919. Le Frère Gabriel avait été soumis aux épreuves de la vie. Il était déjà Frère à Lourdes en 1870, et fit la campagne contre l'Allemagne; il était fier d'être revenu sain et sauf par miracle. Rentré à Notre-Dame de Lourdes, on l'employa à la Grotte, bien longtemps. Puis il revint à Garaison montrer aux enfants, qui raffolaient de lui, ses ratières pleines et ses mille tours de passe-passe. Ici il a supporté la vie si longue d'épreuves et d'infirmités et la mort même, quand Dieu l'a voulu, sans consolation humaine II était un fidèle servant de messe. Dieu l'a attiré à Lui, pour lui donner la récompense. Donc tout le petit troupeau de 1904 est presque anéanti. " On n'aura pas à nous mettre à la porte, disait M. Plagnet, puisque bientôt il n'y aura personne. "


FIN DU CAMP

Les internés du dehors rentrent peu à peu. Le camp va se vider.

Le 23 mai, un départ de 230 Hongrois et Autrichiens; le 27 juin, départ de 33 Bulgares et Popes. Le 19 novembre, 71 Turcs. Le 16 décembre 1919, les derniers sont partis à 9 h. du matin, y compris le directeur et l'état-major. 20 soldats se sont entendus pour se faire porter à la gare par la voiture de M. Plagnet, moyennant deux francs chacun, mais, en descendant à la gare tous, - moins un, - sont partis sans payer. Mais, c'était pour la France!

Six soldats sont restés pour mettre un peu d'ordre dans la maison, verrouiller et cadenasser partout. Le 31 décembre 1919, ces soldats emportèrent la clef de tout, oubliant heureusement celles des deux grands portails.


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